Le crâne ancestral

L'AFFAIRE ALTERN
juin 2000
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La législation sur les hébergeurs de sites Internet est vivement contestée
(Le Monde)

Interview de Valentin Lacambre
La succession d'Altern.org s'organise


La législation sur les hébergeurs de sites Internet est vivement contestée

Les amendements Bloche à la loi sur l'audiovisuel pourraient avoir l'effet inverse à celui visé. Opposé à ces mesures, l'hébergeur associatif Altern a décidé de fermer ses serveurs, mettant hors service 48 000 sites
Mis à jour le vendredi 7 juillet 2000

À L'ORIGINE, les amendements à la loi sur l'audiovisuel proposés par le député Patrick Bloche (PS) avaient pour but de protéger les hébergeurs de sites Internet contre les plaintes abusives et le zèle de certains magistrats. Les hébergeurs étaient régulièrement tenus pour responsables du contenu illicite des sites stockés sur leurs serveurs, alors qu'ils n'en étaient pas les auteurs et n'avaient aucun moyen de tout surveiller en permanence. Cette situation menaçait directement la liberté d'expression : pour éviter les ennuis, les hébergeurs étaient incités à fermer préventivement les sites controversés. Lorsque M. Bloche voulait démontrer qu'une réforme était nécessaire, il prenait souvent en exemple le sort d'Altern (altern.org), hébergeur associatif gratuit et ouvert à tous. Dans la mesure où Altern refusait d'exercer ce type de « censure privée », il était harcelé par des procès incessants, alors que son fondateur, Valentin Lacambre, estimait mériter au contraire la sollicitude et la protection des pouvoirs publics. Les amendements Bloche ont enfin été votés le 28 juin dernier, mais le résultat est exactement inverse au but recherché : dès le lendemain, le patron d'Altern a décidé de fermer ses serveurs, estimant que la nouvelle loi le place dans une « position intenable ». D'un seul coup, près de 48 000 sites Web francophones sont mis hors service.

Au cours de la navette parlementaire, qui a duré plus d'un an, le projet a été plusieurs fois remanié, et sa version finale contient des dispositions assez éloignées de l'esprit du projet de départ. Pour que leur responsabilité ne soit pas engagée, les hébergeurs doivent désormais se soumettre à une série de contraintes. M. Lacambre s'insurge tout d'abord contre l'obligation faite à l'hébergeur de « procéder aux diligences appropriées » dès qu'il est saisi par un tiers « estimant que le contenu d'un site est illicite ou lui cause un préjudice » : « En clair, cela signifie que je serai obligé d'avertir la justice à chaque fois que je reçois un message anonyme reprochant n'importe quoi à n'importe qui. Lors du débat parlementaire, la ministre Catherine Tasca a précisé que par »diligences appropriées«, il fallait comprendre obligation de saisir l'autorité judiciaire. C'est de la folie pure. J'y passerais tout mon temps, je connais des lobbies organisés qui me bombarderaient de plaintes nuit et jour », déplore M. Lacambre . D'autre part, les hébergeurs doivent désormais relever le nom et l'adresse des internautes désirant créer un site, afin de pouvoir les communiquer à la justice si celle-ci l'exige.

« RÔLE D'INDIC »

Or, dans le passé, M.  Lacambre s'est toujours refusé à ficher les membres d'Altern, car, selon lui, l'anonymat est la seule vraie garantie de la liberté d'expression : « Si demain un nouveau procès me tombe dessus et qu'un juge exige de savoir qui sont les auteurs d'un site de sans-papiers, ou d'un site de salariés en conflit avec leur entreprise, ou d'un site parodique attaquant une personnalité influente, je ne pourrai pas fournir ces renseignements, car je ne les possède pas. Je serai constamment pris en défaut. Je sais que certains hébergeurs commerciaux n'auront aucun scrupule à constituer des fichiers-clients et à dénoncer tous les auteurs de sites polémiques, mais moi, je ne me vois pas dans un rôle d'indic. » M. Lacambre fait aussi remarquer qu'avec cette loi la France s'éloigne des pratiques en vigueur dans les autres pays démocratiques. Le plus simple pour les internautes français voulant protéger leur anonymat est d'ouvrir des sites chez des hébergeurs gratuits étrangers...

Interrogé par Le Monde quelques jours avant le vote, M. Bloche avait tenu à minimiser le problème : il reconnaissait que le terme de « diligences appropriées » était vague, mais, à son avis, il signifiait simplement l'obligation de mettre en relation l'auteur du site et le plaignant, et de les laisser ensuite se débrouiller. De même, Christian Paul, député PS de la Nièvre et auteur du récent rapport sur la « corégulation de l'Internet », se disait satisfait de la dernière mouture des amendements et regrettait « que le débat sur la liberté d'expression se soit focalisé sur la question de l'anonymat », selon lui très secondaire. Pourtant, le projet n'avait pas fait l'unanimité au sein de la gauche plurielle, loin de là. Les radicaux de gauche et les communistes avaient publié des communiqués très critiques, accusant le projet d'être à la fois inutile et dangereux pour les libertés. Plusieurs députés Verts européens avaient manifesté leur solidarité avec les opposants au projet. De son côté, la Ligue des droits de l'homme avait adressé une lettre ouverte à Mme Tasca demandant un report du vote, car le texte en l'état constituait une sérieuse menace contre la liberté d'expression. Le chapitre français de l'Internet Society (ISOC) avait pris position contre les amendements, dénonçant notamment l'absence de véritable concertation.

M. Lacambre, usé par les procès à répétition, abandonne le combat, au moins provisoirement, mais d'autres n'ont pas renoncé. Plusieurs associations d'usagers et de professionnels, dont Iris ( www.iris.sgdg.org), ont lancé une pétition de protestation, qui a déjà reçu la signature de près de deux cents organisations françaises et étrangères.

L'objectif est de faire pression sur les pouvoirs publics pour que les amendements Bloche soient modifiés ou annulés par la future loi sur la société de l'information, qui doit être présentée au Parlement cet automne ou au début de 2001.

Yves Eudes



Le Monde daté du samedi 8 juillet 2000

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Valentin Lacambre
Fondateur
Altern.org, Gandi

 

Bien qu'il s'en défende, Valentin Lacambre est un personnage de l'Internet français. Le créateur d'Altern.org a été rendu célèbre malgré lui par l'affaire Estelle Hallyday (Lire l'analyse juridique parue dans le JDNet) qui a largement alimenté les premières chroniques judiciaires de l'Internet. Au lendemain du vote en lecture définitive par l'Assemblée nationale de l'amendement Bloche, qui fixe les contours des nouvelles obligations imposées aux hébergeurs de sites Web (Lire l'article du JDNet), et après sa réaction à chaud la semaine dernière dans nos colonnes (Lire l'article du JDNet), Valentin Lacambre en dit davantage sur cette loi, ses projets et l'avenir d'Altern.org.  

Propos recueillis par Fabien Claire le 7 juillet 2000.

JDNet. Cette fois, Altern c'est vraiment fini ?
Valentin Lacambre. J'arrête effectivement les hébergements gratuits, parce que ça ne devient ni gérable ni moral. Je ne conserve que les services gratuits de communication privée qui, eux, ne sont pas touchés.

Combien de sites étaient encore hébergés par Altern?
Il y a au total plus de 40.000 inscrits, sur lesquels on peut retenir un peu plus de 15.000 sites actifs. Leurs créateurs vont devoir aller se faire héberger ailleurs. J'ai expliqué cela sur mon site depuis deux jours.

Que va-t-il se passer maintenant, concrètement. Les éditeurs de sites ne vont-ils pas être tentés d'aller se faire héberger à l'étranger?
Oui, mais pas seulement. En ce moment, certains anciens essayent de monter un service mutualisé pour reprendre les sites hébergés sur altern. Leur idée est de pouvoir s'héberger eux-mêmes dans les conditions de responsabilité de la loi.

Pourquoi vous résoudre à cette décision définitive?
Il y a deux raisons nées de la loi, d'abord le mécanisme de gestion des conflits. En cas de plainte, quelque soit sa forme, y compris un email anonyme par exemple, s'il est possible qu'il s'agisse d'un contenu illégal, je dois envoyer une lettre recommandée au procureur de la République pour lui donner tous les éléments d'information à ma disposition. Il s'agit du nom du site, une copie de la plainte ainsi que le nom et l'adresse de l'auteur du site. Parfois, l'appréciation de la conformité d'un contenu à la loi peut être évident, mais il peut aussi s'avérer plus subtil, notamment lorsqu'il s'agit de diffamation. Jusqu'alors par exemple, Altern hébergeait un site satirique sur Charles Pasqua. Je recevais régulièrement des protestations contre ce site et dans le cadre de la loi, je devrais donc quatre ou cinq fois par mois envoyer un recommandé au procureur de la République pour lui indiquer que monsieur Untel se plaint de ce site au contenu satirique créé par monsieur Machin. Cette idée me pose un vrai problème moral. Je ne me sens pas particulièrement de vocation pour devenir une sorte d'indicateur ou d'auxiliaire de justice.

Et la deuxième raison?
Il s'agit de l'obligation initiale de détenir les noms et adresses des sites hébergés. Je ne peux satisfaire à cette obligation aujourd'hui et je n'ai pas l'intention de constituer un tel fichier.

Vous convenez quand même qu'il est nécessaire de pouvoir identifier l'auteur d'un site au contenu illicite, l'auteur d'un site nazi par exemple?
Mais il n'y avait pas de problèmes pour faire respecter la loi, nous étions parfaitement en mesure de d'identifier l'auteur d'un contenu illégal à partir des seules données techniques. Le gouvernement lui-même reconnaît que cette idée n'a pas un objectif de police, puisque n'importe qui peut écrire n'importe quoi. Il faut rechercher l'objectif ailleurs. En revanche, sur le fait de savoir s'il faut pouvoir retrouver l'auteur du contenu illicite, oui, bien sûr, c'est évident! Un comité d'experts du G8 vient de rendre un rapport dans lequel il préconise que la loi fasse obligation aux prestataires techniques de conserver les données de connexion un certain temps pour permettre la traçabilité. C'est ce que je faisais et cela suffit pour identifier n'importe lequel de ces auteurs. S'il y a un endroit où on est tracé du bout des doigts à la racine des cheveux c'est bien sur Internet. La CNIL elle-même le dit. Je suis d'ailleurs vraiment intrigué par cette nouvelle loi qui oblige les hébergeurs à conserver les noms, prénoms et adresses des auteurs de sites sans leur fixer de règles pour les empêcher d'exploiter commercialement ces noms.

Vous n'avez jamais envisagé la cession d'Altern?
Ca, non! Je n'ai d'ailleurs pas reçu de propositions récemment. La seule hypothèse aurait été de vendre à un truc parfaitement honorable, mais s'il s'agit de vendre Altern pour que les gens aillent y mettre de la publicité, c'est hors de question. Attention, je ne suis pas complètement désintéressé, je vis de mes activités mais mon but est de fonctionner sous forme solidaire en rendant réellement un service. Je veux juste vivre d'un service qui plaît à tout le monde.

Quelle est l'activité qui génère la plus grande part de vos revenus?
L'hébergement payant pour les deux tiers et encore un petit tiers du minitel.

Et gandi, votre activité d'hébergement de noms de domaine ?
Gandi ne rapporte pas grand chose. L'activité brasse pas mal d'argent, mais également beaucoup de dépenses. Au final on ne va pas s'acheter d'appartements avec! (rires).

Combien de noms de domaine enregistrés à ce jour?
Depuis début mars, nous avons enregistré a peu près 67.000 noms. Le but, c'est de faire en sorte que tout le monde puisse acheter son nom de domaine très facilement de manière à rester indépendant vis à vis des prestataires. L'idée est de leur apporter une gestion de noms de domaine sans embrouilles.

Et pour le dépôt des .fr?
C'est toujours l'AFNIC qui a le monopole du dépôt des .fr que lui a accordé l'Etat, et ce dernier conserve un droit de veto sur ce dépôt. L'AFNIC, elle, fonctionne avec sa propre forme de hiérarchisation sociale. La logique de l'AFNIC, c'est que les entreprises peuvent avoir mon-entreprise.fr, les association peuvent avoir association.asso.fr. Pour les personnes, c'est mon nom-mon déterminant.nom.fr. Dans cette organisation, les entreprises sont des citoyens plus que citoyens, les associations sont un peu moins des citoyens et personnes physiques le sont encore moins. A mon avis, il y a un bug. Nous voulons, nous, permettre à chacun d'avoir le nom qu'il veut dès lors qu'il est disponible.

Après l'affaire Hallyday, vous aviez indiqué avoir fait l'objet de plusieurs plaintes toujours fondées sur le contenu des sites que vous hébergiez. Avez-vous encore des procès en cours?
Il en reste deux. Le premier, l'affaire Caliméro, devrait bientôt connaitre un dénouement. Le second est l'affaire Radio France.

De quoi s'agit-il ?
Pour Radio-France, j'ai reçu une lettre recommandée au sujet d'un site qui diffusait les émissions de Radio-France en MP3. J'ai donc supprimé le site des serveurs Altern et renvoyé une lettre recommandée pour leur signifier que j'avais retiré le site. Le problème est que le site est toujours en ligne (on le trouve sur Yahoo!), même s'il n'est plus hébergé chez moi. Ils m'ont attaqué mais ce n'est plus moi qui héberge le site.

Il y a donc erreur sur l'hébergeur?
Je n'en suis même pas certain. Cela dit, je ne suis pas surpris. J'ai l'habitude des procès débiles et parfois, je dois dire, les décisions me surprennent...

Vous avez d'autres projets de services en ligne?
Pas plus tard qu'en fin de semaine prochaine, je vais proposer un service de mail sécurisé crypté en 128 bits. Cela vise d'abord les salariés d'entreprises qui ont dernièrement reçu un mail de leur direction indiquant que leur courrier électronique peut être lu. De plus en plus de gens me demandent des services de confidentialité. Ils pourront bénéficier de ce service gratuitement. On commence tous à en voir l'utilité, car configurer Pgp est quand même assez affreux.

Quels sites trouvez-vous intéressants?
Il y en a énormément. Je vous recommanderais par exemple the dernier moteur de recherche qui ne truande pas en ne vendant aucun mot-clé, northerlight.com. Dernièrement, j'ai bien aimé presselibre.org, qui propose par exemple des informations intéressantes sur la façon dont le journal Le Monde a couvert la guerre au Rwanda. Le Monde a déposé plainte contre le journaliste qui avait écrit ça mais a été débouté par la Cour d'Appel de Paris. C'est intéressant de lire ce type d'information. On remarquera que les journalistes qui font ce site ne donnent pas leurs noms, mais c'est nécessairement des gens du milieu. Avec la nouvelle loi, ils devront donner leur nom à leur hébergeur. J'aime bien également slashdot.org qui est une source d'information inévitable.

Un regard sur l'histoire Altern et ses rebondissements?
Je m'attendais à faire un petit boulot d'artisan technique qui a un peu dégénéré. C'est une belle histoire très sympathique. Mon seul regret concerne le comportement des autorités françaises et leurs réflexes fantasmatiques et paranoïaques. La vision qu'ont nos politiques d'Internet, c'est d'abord la peur de la diffamation.

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La succession d'Altern.org s'organise
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/0007/000721postaltern.shtml

Avec l'annonce de la fin de l'aventure de l'hébergeur gratuit Altern.org par Valentin Lacambre (Lire l'interview au JDNet le 070/7/00), les initiatives de création de nouvelles structures émergent. Chez les anciens éditeurs de sites hébergés par Altern, deux thèses se sont très vites opposées mais semblent maintenant converger vers la création d'une association commune.

Un premier groupe proposait la création d'une structure d'hébergement mutualisée, au modèle de fonctionement totalement démocratique. Une sorte d'Altern-bis sur un modèle de cogestion, en lieu et place de Valentin Lacambre, seul initiateur et pilote d'Altern. Les partisans de cette première initiative se sont longuement exprimés sur la liste de diffusion de l'antre.org et fédèrent les internautes désirant participer au projet sur le site lautre.net. Il sont à ce jour 538 à avoir répondu à l'appel.

De l'autre côté se trouvaient les tenants de la création d'une structure de conseil et d'accompagnement, baptisée CLIP, pour Comité de liaison d'information et de promotion. Ces derniers se sont exprimés dans la liste de diffusion etmaintenant.ouvaton.org. Selon Olivier Zablocki, l'un des initiateurs de cette structure, "il s'agit d'encourager la création de nombreuses petites structures d'hébergement indépendantes, pour lesquelles l'association serait un organe de consultation, d'information et de coopération."

Après des semaines de débats passionnés à l'intérieur de ces communautés informelles, on s'oriente vers la création d'une association commune aux deux groupes. Les statuts, en cours de rédaction, devraient être déposés dans les prochains jours. L'association serait un lieu de réflexion sur lequel pourront s'appuyer toutes les initiatives de création d'hébergeurs indépendants adhérant à quelques principes de bases exposés (provisoirement) à l'adresse http://pitrou.free.fr/general.html.

C'est donc dans ce cadre que devrait pouvoir naître le projet de lautre.net, mais aussi le projet georeseau.net, regroupant des professionnels de l'information géographique, ou encore radioactif.net, un projet de serveur créé par des professionnels de l'information sur les risques majeurs liés à l'environnement.

Pour toutes ces initiatives, il s'agit de démontrer la possibilité de préserver un espace création de site hors de tout projet commercial ou économique, et ce, dans le cadre du respect de la nouvelle réglementation définissant les conditions de responsabilité des hénergeurs de sites (Lire l'article du 19/06/00 du JDNet.

[Fabien Claire, JDNet]

 

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