La métamorphose

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Le temps, le sang

L'être dans la pièce à côté entend une clochette dans le lointain, c'est pour cela qu'il attend là. Il dit que loin devant nous, il y a un mur, entre la clochette et nous. C'est le mur de l'éclatement des groupes, le point de contact limite avec la réalité, au-delà duquel tout bascule. Le temps presse et la distance entre lui et nous se raccourcit. Des larve brunes traînent au sol. Il y a une sale maladie dans l'air, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais autour de nous il y a des gens qui ne veulent pas se laisser faire, enfin, c'est-à-dire que c'est ce qu'ils croient. Alors le sang coule bêtement et de ce côté-ci du mur, la vie est difficile. Le sang, le temps, tout ça c'est pareil. Le temps, issu de ce déficit de divin. La dynamique des déséquilibres. Le sang, l'ensanglantement supérieur, un coup de harpon dans la vie. Un jeu de massacre éternel qui fait écho dans tout l'univers, mais en ce qui concerne le sang, nous verrons plus loin. Le temps, le sang, le feu, le vieux, jette le vieux dans le feu. Le sang et le temps dans le feu, ça crame dans ta baraque. Ta mère, cette folle qui traîne dans les couloirs, des horizons de portes et de soleils loin derrière les fenêtres. Et le temps qui dure tout ce temps, Tout ce sang qui coule. Le vieux qui revient avec sa pâte à modeler. Les formes de demain sont les larves d'aujourd'hui. De vieilles larves brunes au sol, elles ne se sont pas transformées celles là. Une odeur de vieux, et une lumière de feu, dans le ciel et dans tes yeux de pauvre larve. Le temps, le sang, le vent, le mutant. Car des mutants seront transpercés. Symbole du mur percé par la mutation. La mutation est sanglante car il faut détruire des liens, des rapprochements, en créer d'autres. Mais les repères se décalent avec le temps, les repères des repères aussi, des bornes sont arrachées, la tête glisse dans la boue qui pue.

Tu vis là, dans cette pièce jaune, le temps passe, des soleils tournent dans les cieux des jours qui passent ; n'as-tu pas oublié de muter ? Un jour la larve mentale au regard débile se tourne vers toi, te regarde au fond des yeux et t'annonce que le temps malade est venu. Tel une jeune nymphe de la mort tu mets ton âme en suspension, tes repères sociaux entre parenthèses, la racine de ta vie ébranlée par mille séismes intellectuels. Et le temps passe pour la seconde fois. L'œil noircit et se laisse aller au libre jeu électrique des muscles mutants. La vie s'efface de ta vie, ton regard de mutant neuf voit la mort de la vie. Désormais, tu le sais, tout est mort.

- Il est vraiment fou cet être, croit-il en Dieu-le-père-des-hommes au moins ?
- Il n'aime pas Dieu parce qu'il chante trop fort à la messe et qu'il a des amis dont il faut se méfier. Le prêtre lui même est en pleine mutation. De jour en jour il apparaît changé, le temps passe et il ne ressemble déjà plus à un être humain naturel. Il traîne dans son jardin. Il passe la nuit à la fenêtre à regarder la rue. Il est étrange dans la nuit. Le matin vers six heure, juste après s'être levé, il sort de chez lui et se dirige lentement vers les bois. Il marche sur trois pattes dont une est fausse depuis quelques temps. On le voit marcher les matins d'hiver au clair de lune, cet astre malade. Un être nouveau traverse la brume. Il se rend au village de l'autre côté de la forêt, et fait passer la drogue, il y a des trucs dans la drogue. La drogue, signe de vie dans notre mort quotidienne, c'est bien ce que tu crois ? hein ! avoue-le. Vers sept heures ils allument un feu lui et trois compères, Garcimor le bossu, Alfred le morne et Jean le gland. Ils se rencontrent tous les matins à sept heures dans le pré entre les deux forêts.

Ils sont à la tête d'un réseau régional tristement célèbre, les membres de ce groupe, particulièrement extrême, prônent la mutation généralisée de l'espèce et le retour du sang dans le monde. Ils alimentent la région en une drogue ultra puissante depart son action à vie sur le corps et l'esprit : la morphogenèse. Drogue qui procure la vision du morpho, superbe papillon bleu annonciateur de la métamorphose. La drogue de l'ère nouvelle, celle qui crée le délire des formes jusque dans le réel. La personne sous l'emprise de cette drogue voit son corps et son esprit se déformer et cette vision se transforme en configuration génétique qui la force à muter. En quelques semaines seulement le corps a muté. La morphogenèse provient d'une plante automutante dont la culture est devenue la principale ressource agricole de la région. Le temps passe et le vent s'installe dans la plaine.

Muter, c'est détruire son ancienne forme afin de mettre lentement et progressivement son âme en oscillation. L'instabilité et la dynamique prennent le pas sur le quasi-stationnaire. Le sang coule des formes déchirées. Et la vie passe, le traîne par terre au beau milieu des flaques de boue. Nos visages, un peu étonnés quand même, se réflètent dans les liquides. Le feu, loin dans la plaine. La vie a tourné. Il y a des lac de salive aussi.

Un jour, tu ouvres une porte et un prêtre te vend de la came. Alors là tu dis oui, tu dis oui à la mutation, tu dis oui au sang, et finalement tu dis oui au prêtre. Mais de cette came là, il faut en parler, redire sans cesse la même chose. Alors il t'en parle, et toi tu l'écoutes, pensant à cette folie qui t'attend sur son rocher de granite. Il y aura du sang, du sang à bouffer dans ta casserole, du sang dans lequel nagent des larves, les larves de demain. A faire bouillir et à bouffer ! A pleines louches.


mise à jour 20 Avril 2002 © lipsheim.org 2002