roseaux


Dimanche,
20 mars 1996


La bataille des roseaux




Le plus intéressant fut l'après-midi. Les acteurs sont Cel, Pat, Yv et Dav. Le film commence à quinze heures passées, dans la forêt, dans un arbre où nous étions penchés, avachis, fumant une substance qui allait provoquer le rite du conflit. Mais avant le rite proprement il fallu un enchaînement, une transition.

Pat s'est comme solidarisé à l'arbre, alors que nous autres, pourtant bien emportés dans le tourbillon étions parvenus à redescendre. Pat est toujours le premier acteur, mais jamais le premier à tomber à l'eau. Alors il attend dans l'arbre, nous laisse rire, et ces rires, ces moqueries ont comme conséquence de déclencher un lent énervement chez lui, une colère à retardement. Pendant que nous riions de le voir si faible il accumulait de l'énergie négative venant de la terre. De la terre car si elle venait d'ailleurs nul ne saurait d'où. Mais nous ne pouvions vraiment pas ne pas rire, et le point culminant du rire serait atteint avec sa chute. Une chute et la disjonction aurait basculé dans un tel potentiel énergétique que le choc (pour nous autres) aurait été maximal. Heureusement pour le cosmos il ne chuta pas.

Il ne chuta pas mais sa descente sur sur terre fut d'un comique extrême, puisque, ne sachant comment faire mieux, il était réduit à la descente à l'horizontale, 90° (oui !), perpendiculèrement à l'arbre ; il avait lui une vision verticale du monde, et cette verticalité l'a influencé à un point inouï. En réalité cette verticalité n'a pas eu tant de conséquences, mais c'est là ce que je pensais au moment où j'écrivais.

Une fois pat descendu de l'arbre, comme l'homme descent du singe, nous marchions un peu. Nous nous arrêtâmes dès que Pat eut trouvé le lieu du rite. C'était devant le pont que j'avais un jour découvert. Ce pont devait jouer un rôle crucial. Il devait rétablir le déséquilibre créé par la rivière et faire croire que sous la terre il y a encore de l'eau, et non qu'elle est simplement traversée par un flux hydraulique ce qui a bien entendu un impact mystique supérieur.

Voilà un lieu, voilà des humains et voilà un soupçon de folie. La terre est envahie par une forêt de plantes inconnues, des plantes comme des tiges jaunes et pâles, grandes comme des hommes, avec au bout une touffe de graines ou de poils. Pat a reconnu le lieu. Il l'a reconnu par le pont et les deux trous remplis d'eau.

Ces deux symboles, dont l'un est dédoublé, présentent une fausse symétrie et ont connecté Pat sur un univers plaqué au nôtre en allumant une lueur rouge quelque part dans Pat, dans son cerveau très probablement. Le décor est planté et bien planté. Les deux eaux, le pont, la terre, les tiges, tous les éléments sont réunis. Ou presque car il ne manque que la femme qui ne veut pas se jeter à l'eau. Mais brusquement la voilà. Elle apparaît en arrière plan. Et il faut la prendre pour la jeter dans une des eaux (la deuxième) ; prendre le risque d'entrer dans le rite, d'y avoir mis les pieds ... une fois pour toutes.

La lutte commence, des musiques nous enveloppent ou plutôt c'est nous qui nageons dans ces musiques venues très brusquement. Le combat est entamé, deux sont là (dont un qui est moi), avec des tiges, nous louons les deux autres. Nos cris sont devenus musique et nos tiges disaient au guru toute notre joie de vivre cet instant que l'on retrouve partout sur terre. La conquête de l'instant où m'être entre en contact direct avec les harmoniques des ondes de la terre.

C'était à mon tour d'entrer dans la danse. Nous formions des cercles sur le sol. Dans le monde second je me disais que Pat avait pété les plombs. Dans le monde premier je savais clairement ce qui se passait. Il fallait atteindre le point de jonction sec, c'est-à-dire, non seulement rester sur la rive, dans le monde second, mais aussi crier dans le couloir du monde premier pour atteindre le monde second.

Et là je parlerai de symphonie de cris. Il y eut un tintamarre inouï, d'une puissance mystique incontestable même d'un point de vue objectif. Quand nous tournions comme des idiots dans le monde second, nous criions dans le monde premier, et ces cris perturbaient le monde second. L'infinie puissance du cri, partant de la vie totale en direction de la mort noire !

Un peu plus tard il y eut un combat d'arbres avec Yv et toujours Pat. Des combats d'aliénés sur un pont falsifié. Nous avons tous vu qu'il était neuf, vieux, laid et impossible pour le rite, mais c'est tout cela qui finalement, par amour du paradoxe, le rendit possible pour le rite.

Et à mon tour je pris les arbres. Je pris les ombres et très vite je m'enfuis, tout était devenu trop statique, il fallait que le rite prenne du mouvement, de l'espace, bref de la folie. Alors la course à pied m'a donné la nausée. Mais j'attendais les autres, accroupi dans les herbes au milieu des arbres, des arbres qui finissaient par me rendre fou. Mais en attendant je les entendais encore gémir, gémir pour la cause. Et tout à coup, plus rien. Que le bruit du vent dans les arbres, des végétaux et mes bruits à moi. J'ai cru que c'était prévu, qu'il fallait le silence, mais, et ceci je ne le su qu'environ trente secondes plus tard, ce silence n'était rien d'autre que leur perte, leur perte définitive. Car les arbres me rendaient vraiment de plus en plus fou. De longues tiges claires partout, du sombre, du vert partout, et du bleu ciel par endroit, des bruits aussi. La forêt me rendait malade. Il fallait sortir, sans cela c'était la maladie. Je suis sorti. Je les ai attendu dans le champ. Au loin sur un mirador, il y avait deux chasseurs. J'avais l'air d'un véritable homme des bois. Je le savais. Et c'est en tant qu'homme des bois, sorti de sa terre que j'allais traverser le village alsacien. J'étais l'homme des bois jusque dans la tête.

Je ne rajouterai pas l'épisode où je fis deux fois le tour du village en mobylette, en passant par la forêt pour retrouver les autres et finalement tomber en panne à 180 mètres de chez moi, il n'est pas intéressant.



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