Rien dans le vent ou les arbres

rien dans le vent ou les arbres



betâ 1

par Jean Zabre

Δ


Rien dans le vent ou les arbres
Dans la liqueur du soir qui coule déjà le long des troncs,

Qui fuit aux horizons.

Rien dans l’eau ou les algues.
Le plancton, les scalaires et les cachalots.

Et toi, avec tes cheveux, Pourquoi sculptes-tu la pierre,
Quel message de poudre as-tu à nous livrer,
Quelles pensées fermentent à la lueur de ta bougie qui veille ?

Un poison, un champignon vénéneux.

Et toi, tu brises les tables ? C'est un venin, un venin à soulager.

Le cachalot a pondu un œuf, et tu manges cet œuf,
As-tu vu ce vieillard sur le chemin ?
Ce vieillard que plus rien n’effraie et qui t’a tous révélé.
Il est le charme diabolique intérieur, il est beau.

Le fond de son oeil c'est le royaume d'Hadès. Voilà ce que je sais.

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Les années passent comme une mule sur un vieux sentier terreux, et elles n’ont rien à dire, ou ne semblent rien dire. D’ailleurs je ne sais toujours pas d’où vient, ni ce que veut ce noyau au cœur noir comme le soir de ce que je crois être l’âme et qui rayonne d’horreur au milieu d’un lac dont l’eau ne cesse d’envoyer ses parfums de glace aux mille tournesols qui le cerclent. Et je n’ai jamais cru en la géométrie qui pourtant reste seule à flamber dans un cirque jaune.

J’ai cru que ce noyau était enflammé et même ensorcelé, et les soirs, aux temps des barbecues, le feu m’évoquait nécessairement la vie, et la braise le sommeil, et la fumée la vie qui fuit vers l’horizon ténébreux et autoritaire de la mort, la mort qui semble sourire lorsqu’elle perce les nuages. Sourire hideux de la mort qui attend frémissante, juste au-dessus et pas loin, regarde, à gauche la confusion et sa maîtresse la béatitude. Mais tout n’était qu’illusion ; tout n'était qu'élans préhistoriques, offrandes géologiques, fossilisations spirituelles, héritage bactériel de temps immémoriaux où nos ancêtres, les microbes, par une diabolique combinaison chimique et alchimique furent les tyrans abominables de cette terre déjà âgée de quelques millions d’années. En réalité je me demande si tout ceci signifie quelque chose. Si toutes ces années en fosse ne m’ont pas aigri et surtout s’il reste de la tarte à la rhubarbe. Il en reste. Bon présage, je suis de la bonne illusion pas de la réalité.

Le feu est étranger à tout cela car cet œuf n’a rien d’une flamme, et comme tous les œufs, le cerveau est froid. Des périls formés de réseaux nerveux, d’électricité et d’au-delà aux mailles étincelantes, merveilleuses et aussi vides et absurdes que nécessaires le parcourent. Pointe, derrière le crâne humain, entre la naissance du cuir chevelu et l’occiput une zone anormale qui ne réagit pas comme la raison diurne le souhaiterait. C’est, si j’ai bonne souvenance, ici que tout a débuté.

C’était au bord d’une sorte de lac primordial dont la pensée était inconnue. Cependant, elle se situait juste en-deçà. Ce n’est pas une métaphore, une image du tendre esprit, mais c’est ce que l’on appelle une trans-réalité. Les objets de ce type ont une caractéristique dite anti-réelle, car bien qu’ils existent, ils n’existent ni en réalité, ni en rêve et ils n’interagissent ni avec la réalité, ni avec le rêve contrairement à ce que l'on croit expérimenter. C’est pourquoi il y a, sous l’occiput une sorte de lac primordial qu'on ose à peine évoquer le jour, mais la nuit...

Je marchais au bord de ce lac ; une nuit. Ce qui me frappa tout d’abord c’était ce silence insolite et hostile. J’entendais le sang sous la peau et ce n’était pas mon sang naturel, mais un sang modifié par l’atmosphère émanant du lac. J’ai marché pendant plusieurs heures avant de me coucher dans une prairie pour caresser les dociles étoiles. C’est ainsi que je vis un cachalot géant suspendu au ciel comme une guirlande multicolore. J’ai cru en Dieu dans ma jeunesse, plusieurs fois, je me suis agenouillé — c'est vrai, je le jure, mais c'était par crainte, uniquement par crainte de Dieu et ses anges, par peur du morbide jugement dernier, par culpabilité, par crainte de l'atroce douleur promise, je n'ai JAMAIS cru par foi — , mais ma vieillesse transpire d’une liqueur plus amère et aspire Dieu dans sa farandole des âges passés, mirage passé, je suis guéri de Dieu, immaculé de la douloureuse alliance mais je n'en n'ai jamais réellement été malade, jamais. Tout ceci fait que je ne crois plus en ce cloué. Lis l'œil des Jésus-Christ de la terre et tu sauras si l’on meurt du feu ou de la glace. Mais certes, l’un ne va pas sans l’autre et pour être parfaitement honnête, aujourd’hui la glace est maîtresse. Inventons un brise-glace ou une pêche amère.

Le cachalot géant s’est empressé de me confesser tout cela.

Te souviens-tu de ces vieilles soirées forestières des anciennes familles de pierre et des bijoux cachés dans les arbres ? Et de cet éclair qui tomba soudainement sur l’arbre, le plus haut dont devait, quelques siècles plus tard naître le feu. Personne ne l'a vu, oh non ! Mais tout le monde en a vu la marque. Insaisissable et fourbe, le feu a craché son venin dans la glace majestueuse. Dans la haute glace on perçoit encore la marque des choses, le stigmate saignant et sacralisé, divinisé, la maudite blessure qui nous cloue aux arbres à tout jamais. Dieu n'est pas à la Vie. Il faut arracher la vie de toute hypnose du stigmate, la rendre au ciel bleu et nébuleux, ne pas la laisser danser dans Dieu et sa chimie. De tout infini Dieu est dans le délire d'outre tombe, l'esprit transpercé de magie noire le fait renaître éternellement comme la mort renaît tous les jours de la vie.

Rien dans le vent ou les arbres, vous ne voyez rien, il faudra bien qu'un jour, enfin, vous ne voyiez rien dans le vent ou les arbres pour que la vie puisse, tendrement et charnellement s'y installer et pour que vous puissiez enfin créer. Créez !


Ce texte est extrait du recueil Déserts de pierres prochainement disponible gratuitement ici aux formats électroniques RTF et PDF ainsi qu'à la vente au format papier.




mise en ligne 17 septembre 2002 lipsheim.org